L'hypertension artérielle de la femme enceinte

L'hypertension artérielle de la femme enceinte :

I- Définitions :

Les désordres hypertensifs de la grossesse regroupent diversement 3 symptômes principaux : hypertension, protéinurie, œdèmes, auxquels il faut ajouter le syndrome hépatique.

1-La définition de l'hypertension chez la femme enceinte est débattue en raison de la baisse tensionnelle physiologique du début de grossesse. Certains la définissent par une augmentation de 30 mmHg ou plus à 2 examens successifs. La majorité préfère se fonder sur une valeur absolue de la diastolique. La valeur de 90 mmHg à au moins 2 consultations successives est habituellement retenue .

2-La protéinurie est, elle aussi, définie diversement . La protéinurie est dite « significative » si elle excède 0,5 ou 1 g/24 h.

3-Les œdèmes sont le 3e élément de la triade classique. Ils sont souvent diffus, touchant les membres inférieurs, mais aussi les mains (signe de la bague) et la face. En fait, ils n'ont aucune signification pronostique propre, mais leur caractère massif et leur constitution très brusque peuvent cependant représenter un signe d'alarme.

II- Physiopathologie :

Données expérimentales :

Aucun modèle d'hypertension expérimentale ne compromet le déroulement de la gestation chez l'animal, sauf circonstances extrêmes. Quels que soient les chiffres tensionnels, les petits naissent à un terme normal et avec un poids normal. A l'inverse, une ischémie placentaire aiguë ou chronique entraîne une hypertension, une protéinurie, et des lésions rénales comparables à celles observées dans la maladie humaine . Hypertension et protéinurie disparaissent aussitôt après la parturition. De ces données expérimentales il est possible de conclure que c'est l'insuffisance placentaire qui est responsable de l'hypertension, et non l'inverse.

Facteurs étiologiques de l'insuffisance placentaire :

Le mécanisme de l'insuffisance placentaire a peu de chances d'être univoque. C'est même probablement à cette étape que devrait se situer une classification pertinente.

L'hypothèse mécanique :

L'ischémie placentaire peut résulter de la compression mécanique de l'aorte et/ou des artères utérines par l'utérus. Le rôle favorisant bien connu de la gémellarité et de l'hydramnios est ainsi facilement expliqué.

Pathologie vasculaire préexistante :

Nombre de patientes atteintes d'hypertension gravidique sont en fait porteuses de lourds facteurs de risque vasculaire, génétiques et/ou métaboliques . Ces patientes ont toutes les raisons d'avoir des altérations vasculaires préalables à la grossesse. De fait, des lésions vasculaires rénales, parfois impressionnantes, leur ont été trouvées histologiquement, alors même qu'elles étaient normotendues . On peut aisément concevoir que de telles lésions, probablement ubiquitaires, soient un obstacle majeur à une placentation normale.

Le conflit immunitaire parental :

La grossesse requiert un état de tolérance immunitaire maternelle. Celle ci a été reliée, notamment, à un système de facilitation par anticorps bloquants. Un tel processus requiert une immunisation maternelle contre des antigènes paternels. La réalité de celle ci a été parfaitement établie.
Certains accidents gravidiques pourraient être dus à l'absence de cette facilitation, donc à l'absence d'immunisation maternelle. Ils pourraient être expliqués par une histocompatibilité élevée entre père et mère, dans un locus du système HLA. Ce fait expliquerait la constatation que l'hypertension gravidique apparaissant pour la première fois chez une multipare est souvent associée à un changement de partenaire, et également que des transfusions préalables protègent de l'hypertension gravidique.
Dans le même ordre d'idée, il a été rapporté récemment une moindre fréquence de pré éclampsie lorsque la « cohabitation sexuelle » du couple a été plus longue, que lors de conceptions précoces dans un couple récent . De même, le type de contraception pourrait influer sur le risque de prééclampsie. Plusieurs études ont abouti à la conclusion que la contraception « barrière » (préservatif par exemple) exposerait plus à la prééclampsie que la contraception œstro progestative orale. Ce point néanmoins ne fait pas l'unanimité.

Les pathologies sous jacentes :

Il est connu que certaines maladies, vasculaires par essence, telles l'hypertension chronique ou le diabète majorent le risque de prééclampsie. Tel est le cas également du lupus et d'autres affections auto­immunes, qui sont habituellement connues avant la grossesse ou dont les symptômes, à tout le moins, sont immédiatement accessibles.
Mais certaines anomalies biologiques ont été également incriminées, qui peuvent être totalement asymptomatiques avant la grossesse, celle ci étant alors le révélateur. Dekker et coll. ont montré, dans une série de patientes ayant eu une prééclampsie précoce et sévère, la grande fréquence d'une ou plusieurs des anomalies suivantes :
  1. anticoagulant circulant ou antiphospholipide,
  2. déficit en protéines C ou S,
  3. résistance à la protéine C activée,
  4. hyperhomocystéinémie.
L'association de ces 2 dernières 3 et 4 anomalies a été récemment rapportée comme pourvoyeuse d'accidents gravidiques majeurs.
III- Aspects génétiques :

Il existe une certaine agrégation familiale des cas de prééclampsie. Chez certaines patientes ayant eu une éclampsie on retrouve des sœurs, la mère, ou une grand mère ayant eu le même accident. Une analyse soigneuse de ces familles a fait suggérer naguère qu'il s'agirait d'une transmission monogénique.
De nos jours, l'éclampsie se fait rare. L'hypertension gravidique apparaît plus hétérogène qu'on ne le pensait à l'époque et les données des études génétiques sont moins claires. Par exemple, il a été rapporté une étude de 99 couples de jumelles monozygotes. Dix d'entre elles ont développé une prééclampsie, ce qui n'a été le cas pour aucune de leurs jumelles.
Récemment, Ward et coll. ont rapporté une association entre la prééclampsie et une variante du gène de l'angiotensinogène. Il s'agit à ce jour du seul gène candidat qui a pu être sérieusement impliqué dans la prééclampsie. Il n'est sans doute pas étranger à l'hérédité hypertensive chez ces jeunes femmes, que nous avons évoquée plus haut.

IV- Conséquences de l'insuffisance placentaire :

La réduction de la perfusion placentaire consécutive à une implantation défectueuse est suivie d'une cascade d'anomalies qui témoignent d'une altération des fonctions endothéliales
  1. une augmentation de la sensibilité aux hormones pressives,
  2. une activation de l'hémostase,
  3. une production de prostacycline diminuée, alors que celle de thromboxanes est intacte ou même accrue,
  4. l'apparition de marqueurs biochimiques endothéliaux tels que fibronectine, facteur Willebrand et facteur VIII
  5. un activateur endothélial capable d'induire une forte production de PDGF dans des cellules endothéliales en culture
V- Traitement :

L'abaissement de la pression artérielle ne saurait être une fin en soi, ni un motif de satisfaction. Ce n'est qu'un critère d'appréciation intermédiaire, voire marginal. Pour l'hypertendu essentiel, le critère final est la diminution du risque d'événements cardio vasculaires majeurs, et de la mortalité.
Chez une femme enceinte le but recherché est double :
  1. réduire si faire se peut la fréquence des complications maternelles (HRP, éclampsie...)
  2. réduire les complications fœtales, prématurité, retard de croissance, et mort fœtale.
VI- L'avenir à long terme : Pronostic obstétrical

La tradition veut que les patientes ayant eu une hypertension isolée et/ou précoce au cours d'une grossesse soient exposées à une récidive presque systématique au fil des grossesses suivantes. Ce fait, bien qu'inconstant, s'explique aisément par le terrain vasculaire de ces patientes. Plus débattue est la signification de la prééclampsie « pure » de la primipare. Diverses études récentes ont montré que même dans ce cas, la plupart des grossesses suivantes sont au moins hypertensives, et la récidive de la prééclampsie elle même n'est pas exceptionnelle . Par ailleurs, la récidive d'accidents majeurs (hématome rétroplacentaire, mort fœtale, retard de croissance) est rare mais possible. Il ne s'agit donc manifestement pas d'une pathologie spécifique de la 1re grossesse et ne faisant courir aucun risque pour les grossesses ultérieures. Il convient d'en tenir le plus grand compte pour la gestion de ces grossesses.


VII- Classification des hypertensions de la grossesse :

Protéinurie significative
Non
Oui
PA normale avant la grossesse
Hypertension gravidique
Prééclampsie
PA anormale avant la grossesse
Hypertension chronique
Prééclampsie surajoutée

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